
Chercher avec attention, humilité et humour comment raconter la complexité de l’étoffe des relations, les plis, les liens, les tissages.
Il y a des fils entre les gens, d’amours, d’affections, qui tissent les unes aux autres nos fragilités, nos puissances, nos douleurs et nos joies ; qui permettent d’être et de faire ; qui méritent d’être racontés, transmis, inventés. C’est de ça que nous avons envie de parler.
Des liens sera un spectacle sur les amours, les amitiés, les affections. Nous voulons parler des relations affectives et amoureuses comme autant de liens de tensions et de transformations, intimes et politiques.
Des liens sera le prochain spectacle de la compagnie. On en est à l’étape d’en rêver, et ce rêve commence par l’écriture de la pièce…
Nous allons à nouveau créer une forme théâtrale pour des espaces publics, qui impliquent du passage, de la vie autre que celle des spectacles, des accolements, des rencontres, des compromissions.
Il y a des personnes qui sont ton foyer. Il y a des personnes autour de toi qui ont aimé, mais qui n’en ont presque rien dit. Il y a des élans de ton cœur que tu ne reconnais plus, d’autres qui te surprennent. Il y a des relations que tu vois sans les comprendre, cachées ou jamais racontées. Il y a des amours qui n’utilisent que peu de mots, il y a des amours qui donnent du pouvoir, il y a des amours qui ont de la chance, il y a des amours qui ratent. Il y a les mots qui disent trop mal, trop peu, qui classent et trient l’ami·e, l’adelphe, l’amant·e.
Des liens sera une pièce sur les amours, les amitiés, les affections, notamment dans les classes populaires et moyennes. Nous voulons parler des relations affectives et amoureuses comme autant de liens de tensions et de transformations, intimes et politiques. Des amours comme de verbes, à la suite de bell hooks : des actions qui engagent, l’amour comme une décision, qui te lie à l’autre. Dépasser aussi l’équation amour = couple, et la trinité couple – amour – sexe. Élargir, laisser entrer plus de possibles dans les définitions, à la suite de ce qui se fait déjà, partout.

Depuis que j’écris des pièces pour l’espace public, j’écris en partie pour que des personnes peu représentées dans les arts « légitimes » puissent se reconnaître. Qu’on ait l’impression de s’entendre, d’entendre sa famille, de retrouver ses manières de parler et d’agir et que celles-ci soient reconnues belles par la mise en fiction et en représentation.
Je suis le garçon pédé d’une famille de petite classe moyenne normande, issue pour partie de la pauvreté. Ma famille généalogique n’a pas laissé beaucoup d’archives, je ne sais presque rien des nombreux individus qui la composent et l’ont composée, de leurs relations, leurs amours.
Les archives sentimentales, affectives et politiques de mes ancêtres Trans-Pédés-Gouines, d’autant plus issu·es de la « province » sont difficiles d’accès elles aussi, comme celles de beaucoup de communautés minorisées. J’ouvre les albums et les pages sont presque vides.
Comment se figurer dans un ensemble quand on est toujours juste la deuxième génération, de nos familles généalogiques, de fait, de choix ? Quand on parle peu de ses affects, quand on n’écrit pas, témoigne rarement ? Est-ce qu’inventer des histoires, à partir des choses glanées, des soupirs et des sourires à l’évocation d’un nom, d’une image, ça peut créer des lignes, des traces, des lignées ?
J’ai envie d’affirmer que la fiction peut être un outil de pauvres, et comme tout outil porter en soi la potentialité de l’arme. Une arme à double tranchants : celui de la constitution d’une représentation, et de l’expression de possibles.
Parler d’amours, faire parler d’amours, comme des possibilités politiques de bouleversements, et amener tout ça dans les rues, sur les places, partager.
Matthias
Cette création est l’occasion de mettre en mouvement un travail d’enquête et de mises en fiction. Une partie de notre travail, avant l’écriture et même une fois qu’elle sera terminée, consistera à mener des ateliers de partage, de collectes et d’écriture, pour créer avec l’aide d’habitant·es de tous âges des archives sentimentales territorialisées.
À chaque fois, il s’agit de mettre en place avec de nouvelles personnes des protocoles de collecte d’histoires et de souvenirs, et d’écriture de déclarations d’amours, de mélanger le vrai et le faux pour les rendre indiscernables. Ces moments nourriront nécessairement, même de manière oblique, l’écriture et la création de la pièce, et seront à chaque fois l’occasion d’un rendu public de ce qui aura été récolté/écrit/inventé.
Un moment d’exposition/représentation existerait à la fin de chaque moment de travail, des matériaux réalisés et inventés avec les volontaires qui viendraient témoigner des liens qui ont existé sur ce territoire, et existent encore dans cet ici et maintenant particulier. Comme des recueils à ciel ouvert, ces moments jalonneront la création du spectacle, seront des mises au jour d’archives de sentiments et de relations, dans un territoire donné, parmi des personnes particulières. Ces moments d’ateliers de récolte et d’écriture ont pour titre AIMER.



GÉNÉRIQUE
Équipe artistique : Odila Caminos, Marie-Julie Chalu, Matthias Claeys, Kévin Dez, Jules Girard, Narimane Le Roux Dupeyron, Yasmine Ndong Abdaoui, Françoise Roche
Pour construire nos réflexions autour Des liens, nous lisons tous azimuts, notamment : Ces émotions qui nous façonnent – Vinciane Despret ; Les morts à l’oeuvre – Vinciane Despret ; Napalm dans le coeur – Pol Guasch ; Un monde de ciel et de terre – Aleksandar Hemon ; À propos d’amour – bell hooks ; Sister Outsider – Audre Lorde ; Défaire voir – Sandra Lucbert ; Être à sa place – Claire Marin ; Les pédales et leurs ami·es entre les révolutions – Larry Mitchell et Ned Asta ; Vers la normativité queer – Pierre Niedergang ; L’amour, la mer – Pascal Quignard ; Les solidarités mystérieuses – Pascal Quignard ; La forme commune – Kristin Ross ; L’invention de l’hétérosexualité – Louis Georges Tin ; Aquarium – David Vann ; Ciel de nuit blessé par balle – Ocean Vuong ; Un bref instant de splendeur – Ocean Vuong ; Le temps est une mère – Ocean Vuong